LE NOUVEAU BENIN

Désignation des membres de la HCJ et des Parlements régionaux : La Cour répond aux députés (Lire l’intégralité de la décision)

 

Photo: Me Robert DOSSOU

L’Assemblée nationale a violé l’article 124 de la Constitution en tous ses alinéas pour n’avoir pas exécuté la décision de la Cour relative à l’ultimatum du 15 janvier 2009 pour reprendre la désignation de ses représentants à la Haute cour de justice. C’est ce qui ressort de la décision DCC 09-015 du 19 février 2009 de la Cour constitutionnelle qui vient remettre les pendules à l’heure. C’est dire donc que les députés devront se conformer, dans les jours à venir, à la décision de la Cour constitutionnelle. La Cour revient, par ailleurs, dans la présente décision, conformément aux inquiétudes soulevées par les députés, sur la définition des concepts de majorité et minorité.

(Lire l’intégralité de la décision)

Décision DCC 09-015 du 19 février 2009

La Cour Constitutionnelle,

Saisie d’une requête du 29 janvier 2009 enregistrée à son Secrétariat le 30 janvier 2009 sous le numéro 0173/022/REC, par laquelle le Président de l’Assemblée Nationale introduit une « requête en interprétation de certains concepts contenus dans la Décision en date du 08 janvier 2009 » rendue par la Cour ;

Vu la Constitution du Il décembre 1990 ;

Vu la Loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour Constitutionnelle, modifiée par la Loi du 31 mai 2001 ;

Vu le Règlement Intérieur de la Cour Constitutionnelle ;

Ensemble les pièces du dossier ;

Ouï Madame Marcelline - C. GBEHA AFOUDA en son rapport ; Après en avoir délibéré,

Considérant que le requérant expose : « L’Assemblée Nationale, réunie en séance plénière le 15 janvier 2009 a eu à prendre connaissance du contenu de la Décision susvisée en référence et relative au recours en inconstitutionnalité de la procédure de désignation des représentants de l’Assemblée Nationale à la Haute Cour de Justice. » ; qu’il développe :

« 1- DES MOTIFS ET DU DISPOSITIF DE LA DECISION

Dans les motifs qui ont sous-tendu la Décision susmentionnée, il a été notamment rappelé que : " Considérant que le Peuple béninois, par sa Constitution du 11 décembre 1990, a affirmé solennellement sa détermination de créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus ; que cette démocratie pluraliste suppose, entre autres, la garantie des droits de la minorité et la participation de tous à la gestion des affaires publiques ... Considérant que ce droit se traduit au sein de l’Assemblée nationale par le respect de sa configuration politique, reflet des deux composantes que sont la majorité et la minorité parlementaires, et ce, quel que soit le nombre de groupes parlementaires composant l’une ou l’autre de ces deux catégories ; que la prise en compte de cette configuration politique implique la répartition proportionnelle dans la désignation des députés appelés à représenter l’Assemblée Nationale en tant que corps, à animer ses organes de gestion ou à siéger au sein d’autres institutions de l’Etat ; ... " Se fondant notamment sur ces motifs, la Haute Juridiction a dit et jugé que "le choix des députés appelés à représenter l’Assemblée Nationale en tant que Corps, à animer ses organes de gestion ou à siéger au sein des institutions de l’Etat, doit se faire selon le principe à valeur constitutionnelle de la représentation majorité/minorité... Les motifs sus rappelés ont fait l’objet au cours des débats, d’une interprétation diversifiée au sein des députés) ; qu’il poursuit :

« II - DE L’AVIS DE LA COMMISSION ET DES POINTS DE VUE SOUTENUS AU COURS DES DEBATS

Conformément aux dispositions du Règlement Intérieur et à la pratique parlementaire, le Président de séance a fait donner lecture d’un extrait de la Décision DCC 09-002 du 08/0l/09. Cette Décision a été ensuite affectée pour étude à la Commission des lois, de l’administration et des droits de l’homme qui a produit en séance plénière le 15 janvier 2009, un rapport oral dont la substance se présente comme suit : II- 1. L’avis de la Commission des lois " Saisie par le Président de l’Assemblée Nationale de la Décision DCC 09-002 de la Cour Constitutionnelle relative à la procédure de désignation des six (6) députés devant siéger à la Haute Cour de Justice, la Commission des lois, de l’administration et des droits de l’homme s’est réunie le 13 janvier 2009 pour se conformer à ladite décision. 1- TRAVAUX EN COMMISSION Après avoir pris connaissance de la décision de la Cour constitutionnelle et plus précisément de son article 2 qui dispose : ‘’ le choix des députés appelés à représenter l’Assemblée nationale en tant que corps, à animer ses organes de gestion ou à siéger au sein d’autres institutions de l’Etat doit se faire selon le principe à valeur constitutionnelle de la représentation majorité/minorité", les membres de la Commission ont •eu recours aux définitions du grand Larousse et du lexique juridique pour mieux cerner la notion de majorité et de minorité dans le contexte parlementaire afin de reprendre la proposition de répartition selon l’esprit et la lettre de la décision de la Cour Constitutionnelle.  Ainsi la majorité est définie comme étant ‘’ un parti ou coalition de partis détenant la majorité des sièges du Parlement" par opposition à la minorité qui en détient moins. Se fondant donc sur cette définition, la Commission a procédé à une récapitulation par affinités des forces politiques en présence à l’hémicycle et dégagé trois (03) tendances.

DIFFERENTES TENDANCES /NOMBRES DE DEPUTES

Tendance majoritaire : 44

Tendance minoritaire : 37

Non inscrits : 02

Total : 83

Il convient de préciser que :

• La tendance majoritaire est composée de : 1- Groupe parlementaire G13 : 13 députés 2- Groupe parlementaire ADD Nation et Développement : 11 députés 3- Groupe parlementaire ADD Paix et Progrès : 10 députés 4- Groupe parlementaire PRD-PRS : 10 députés. • La tendance minoritaire est composée de : 1- Groupe Bénin émergent solidarité et progrès : 12 députés 2- Groupe parlementaire Démocratie et Emergence : 13 députés ; 3- 3- Groupe parlementaire Unité Nationale : 12 députés.

11- REPARTITION DES SIX (06) SIEGES

Les sept (07) groupes parlementaires et les deux non inscrits rassemblés en trois (03) tendances selon le principe de la représentation proportionnelle majorité/minorité permet d’attribuer les six (06) sièges de la Haute Cour de Justice tel que répartis au tableau ci-dessous : DIFFERENTES TENDANCES CLE DE REPARTITION /NOMBRE DE SIEGES Tendance majoritaire : 03

Tendance minoritaire : 02

Non inscrits : 00

Selon cette clé de répartition, les six (06) sièges sont pourvus et attribués selon le système du plus fort reste aux tendances ci-après : Tendance majoritaire : Trois (03) sièges avec 3,18 Tendance minoritaire : Deux (02) + un (01) siège soit trois (03) sièges avec 2,67." ; »

Considérant que le requérant ajoute :« Après la présentation du rapport, la Présidente de la Commission des lois, de l’administration et des droits de l’homme a rappelé l’article 124 de la Constitution qui dispose que " les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles." . Elle suggère en conséquence de respecter ladite Décision en raison du délai impératif du 15 janvier 2009 imparti à l’Assemblée Nationale . A cette étape de la procédure, les députés ont jugé nécessaire d’intervenir.

11- 2. Les opinions émises

En dehors de la préoccupation sur " le principe à valeur constitutionnelle de la représentation majorité/minorité ... ", certains députés ont relevé que si la Haute Cour de Justice est une Haute Juridiction, "les considérations d’ordre politique" devaient être écartées quant à sa composition. A ce sujet, ils évoquent la Décision DCC 08-065 du 26 mai 2008 qui précise à la page 5, ce qui suit : « ... Sur la non prise en compte de la configuration du bureau de l’Assemblée Nationale.

L’article 15.2-b dispose que "l’élection des deux Vice-présidents, des deux questeurs et des deux secrétaires parlementaires a lieu, en s’efforçant autant que possible de reproduire au sein du Bureau la configuration politique de l’Assemblée."

Il s’agit là des modalités pour l’élection du Bureau de l’Assemblée Nationale ; c’est donc à tort que le requérant l’interprète ou tente de l’appliquer au présent cas relatif à la désignation des membres de la Cour Constitutionnelle au titre de l’Assemblée Nationale. Au demeurant, il s’agit de la désignation des membres d’une Haute Juridiction pour laquelle le législateur a, quant à sa composition, évité de prévoir des considérations d’ordre politique. . . En conséquence, l’article 15.2-b du Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale qui ne s’applique pas du tout à la désignation des membres de la Cour Constitutionnelle n’a pas été violé ... ». C’est pourquoi, les députés concernés sollicitent qu’il plaise à la Cour Constitutionnelle, de clarifier le concept de "Haute Juridiction" » ; qu’il conclut :

« III - DE LA REQUETE DES DEPUTES

Au regard de ce qui précède et en application des dispositions de l’article 114 de la Constitution qui précisent que la "Cour Constitutionnelle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics", les députés sollicitent qu’il plaise à votre Juridiction de : 1- clarifier " le principe à valeur constitutionnelle de la représentation majorité/minorité" et son applicabilité dans la désignation des représentants de l’Assemblée Nationale à la Haute Cour de Justice ; 2- définir la notion de "Haute Juridiction" et préciser au regard de la Décision DCC 08-065 du 26 mai 2008, si la Haute Cour de Justice en est une. » ; Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction de la Cour, le Président de l’Assemblée Nationale a transmis à la Haute Juridiction une copie du compte¬rendu intégral des débats parlementaires relatifs aux travaux de la plénière du 15 janvier 2009 ; Considérant que par sa requête, le Président de l’Assemblée Nationale demande א la Cour, d’une part, de clarifier « le concept de principe à valeur constitutionnelle de la représentation majorité/minorité » et son applicabilité dans la désignation des représentants de l’Assemblée Nationale à la Haute Cour de Justice », d’autre part, de « définir la notion de " Haute Juridiction" et préciser au regard de la Décision DCC 08-065 du 26 mai 2008, si la Haute Cour de Justice en est une » ; Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 124 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application. Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles. » ; que selon l’article 34 de la loi organique sur la Cour Constitutionnelle : « Conformément à l’article 124 de la Constitution, une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.

Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.

Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles.

Elles doivent en conséquence être exécutées avec la diligence nécessaire » ;

Considérant qu’il résulte des éléments du dossier et notamment du compte¬rendu des débats parlementaires que la requête du Président de l’Assemblée Nationale tend en réalité à faire échec à l’exécution de la Décision DCC 09-002 du 8 janvier 2009 ; qu’en effet, la Commission des lois, de l’administration et des droits de l’homme, seul organe interne de l’Assemblée Nationale compétent pour proposer et, en cas de nécessité, indiquer à l’Assemblée Nationale toutes explications et orientations en matière juridique, a présenté un rapport ; qu’en se conformant à la décision de la Cour, elle a mis en œuvre et fait une bonne application du principe de représentation proportionnelle majorité/minorité ; que le rapport présenté par cette commission n’a nullement fait l’objet de débats contrairement aux prescriptions du Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale ; qu’en revanche, les interventions qui ont suivi la présentation dudit rapport ont démontré la volonté manifeste et délibérée des députés de ne pas mettre à exécution, et en tout cas dans les délais prescrits, la décision de la Haute Juridiction ; qu’ainsi, les déclarations du genre : " ... moi je dis ... que la décision de la Cour ne nous engage pas " ( Sacca FIKARA page 7 du compte rendu), "En tout cas, sa décision n’engage qu’elle-même ... " (Raphaël AKOTEGNON page 9 du compte rendu), " on dit que les décisions de la Cour ne sont pas susceptibles de recours, mais on peut les contester" (Jean Baptiste EDAYE page 11 du compte rendu) , " ... moi, je ne m’y conformerai pas parce que j’ai des préalables" (Georges BADA page 12 du compte rendu), "mes camarades qui disent qu’il faut respecter la décision de la Cour, ah ! Ils se trompent, parce que cette Cour là est déjà illégitime depuis des mois" (Augustin AHOUANVOEBLA, page 19 du compte rendu), " je voudrais rassurer tous nos collègues sur cette histoire de la Cour nous a fixé un délai. Ce n’est pas vrai, même si elle a fixé, si nous ne sommes pas prêts, nous ne le faisons pas" ... "moi je ne respecterai pas les prescriptions de cette Cour" (Sacca FlKARA page 20 du compte rendu), ne sont que des illustrations non équivoques de cette position ; qu’au surplus, certaines interventions, et plus particulièrement celle du député Epiphane QUENUM qui a le plus œuvré en faveur du présent recours, traduisent l’exacte compréhension de la notion "majorité/minorité parlementaires" : "Et aujourd’hui, nous sommes piétinés et nous crions. Et aussi à mes amis de la majorité parlementaire d’hier, je le disais chaque fois que j’en avais l’occasion. La politique est une roue qui tourne et qui tourne très rapidement. Il ne faut jamais se dire que je suis majoritaire, je suis maxi et pour cela je dois piétiner le mini" (page 14 du compte rendu) ; que par ailleurs, le compte rendu des débats du 15 janvier 2009 révèle de la part des députés ayant évoqué la question de la notion de Haute Juridiction une parfaite connaissance de cette notion et certainement de ses implications comme en témoignent les déclarations suivantes : « La Haute Cour de Justice est aussi une Haute Juridiction. Je voudrais que les éminents membres de la Cour Constitutionnelle le sachent." (Eric HOUNDETE page 5 du compte rendu) ; "Il faut leur rappeler que la Haute Cour de Justice est une Haute Juridiction ... " (Jean Baptiste EDA YB page 12 du compte rendu) ; qu’il appert de ces éléments que l’Assemblée Nationale a délibérément décidé d’aller contre l’invite de sa Commission des lois et de ne pas se conformer à la Décision DCC 09-002 du 8 janvier 2009 ; qu’en se comportant ainsi, l’Assemblée Nationale a violé l’article 124 de la Constitution en tous ses alinéas ; Considérant que l’article 114 de la Constitution précise : « La Cour Constitutionnelle ... est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics » ; Considérant que du fait de l’Assemblée Nationale, la Haute Cour de Justice, institution constitutionnelle, n’est pas installée depuis avril 2007 en dépit des prescriptions impératives de l’article 9 de la Loi organique n° 93-013 du 10 août 1999 sur la Haute Cour de Justice et de la Décision DCC 09-002 du 8 janvier 2009 ; qu’il échet en conséquence pour la Cour Constitutionnelle de demeurer saisie de tous les aspects du dossier de désignation des députés devant siéger à la Haute Cour de Justice et ce, jusqu’à ce que la Haute Juridiction devienne opérationnelle ; qu’à cette fin, le Président de l’Assemblée Nationale devra transmettre systématiquement à la Cour les comptes rendus de toutes les séances de l’Assemblée Nationale consacrées à cette question ;

DECIDE :

Article 1er._ L’Assemblée Nationale a violé les dispositions de l’article 124 de la Constitution en tous ses alinéas.

Article 2.- En vertu de l’article 114 in [me de la Constitution, la Cour Constitutionnelle demeure saisie• du dossier de désignation par l’Assemblée Nationale des députés devant siéger à la Haute Cour de Justice et ce jusqu’à ce que celle-ci soit opérationnelle.

Article 3.- La présente décision sera notifiée au Président de l’Assemblée Nationale et publiée au Journal Officiel.

Ont siégé à Cotonou le dix neuf février deux mille neuf,

Monsieur Robert S. M DOSSOU Président

Madame Marcelline-C. GBEHA AFOUDA Vice - Président

Messieurs Bernard D DEGBOE Membre

Théodore HOLO Membre

Zimé Y KORA-YAROU Membre

Robert TAGNON Membre

Madame Clémence YIMBERE DANSOU Membre



23/02/2009
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres